Enseigner avec des douleurs invisibles


Une collaboration de Sophie Parent, enseignante


Sophie est une enseignante qui vit des douleurs chroniques depuis un accident en 2017. Elle raconte son parcours et donne des trucs, soit une trousse de premiers soins, afin de pouvoir survivre dans une carrière exigeante sans s’épuiser. Elle partage des leçons qu’elle a apprises en tant qu’enseignante vivant avec des douleurs invisibles.


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Je me promenais en kayak l’été dernier. J’étais seule et calme, aucun bateau ne naviguait sur l'eau. J’entendais seulement les vagues produites par mon kayak et le son du vent. J’ai arrêté de ramer pour admirer la beauté de mon environnement. Je dois vous admettre que j’étais émue d’être capable de passer une heure à pagayer en kayak. 


En 2017, alors que je commençais ma deuxième année d'enseignement, j’ai subi deux commotions cérébrales. L’acronyme TBI (tableau blanc interactif) a pris une toute nouvelle définition pour moi : traumatic brain injury (lésion cérébrale traumatique). J’ai dû prendre un congé de maladie pour quelques semaines durant cette longue année pour ensuite adopter un plan de retour au travail progressif. Les douleurs n’étaient pas temporaires; elles se sont plutôt transformées en douleurs chroniques et persistantes.


Trousse de premiers soins pour enseignants avec une maladie chronique


Item no. 1 : La résilience (Ne pas avoir à justifier sa douleur aux autres)


Il va de soi qu’il est important de respecter ses limites. Malheureusement, ce ne sont pas tous les gens qui sont réceptifs. Ce n’est pas nécessairement de leur faute puisqu’ils ne connaissent pas votre réalité. Reconnaissez que vos douleurs sont légitimes et qu’elles sont présentes. Que les autres vous croient ou non ne change aucunement la validité de vos conditions médicales. Vous aviez peut-être aussi cette ignorance des maladies chroniques avant que vous en éprouviez? Habituellement, ce n’est pas une ignorance fondée par la méchanceté. Je sais qu’il peut être difficile de cheminer lorsque les gens de votre entourage ne peuvent pas vous croire. En acceptant que ces douleurs soient vraies et que vous n’ayez pas à les justifier, vous devenez plus résilient.


Item no. 2 : Un bon médecin (Faire confiance aux professionnels de la santé)


Il est primordial de trouver des experts du domaine de la santé qui sauront vous outiller pour améliorer votre style de vie et votre niveau d’énergie au travail. J’ai fait de la physiothérapie, de la psychothérapie et de l’ostéopathie. Ces experts m’ont recommandé des exercices, des livres, de la méditation et d’autres trucs qui m’ont soulagé l’esprit et mes douleurs corporelles. Je n’ai aucune honte de parler des avantages de la thérapie. Il est important de soigner votre santé mentale, car elle est directement liée à votre santé physique. N’hésitez pas à demander d’être référé à des spécialistes même si la réponse initiale peut être non et si les listes d’attentes sont longues. 


Item no. 3 : Le cercle d’appui (Se trouver des gens fiables)


Formez-vous un cercle d’appui, composé de gens fiables. Il inclut évidemment des experts, mais aussi des amis, votre famille et des membres de la communauté. Des amis compréhensifs qui vous aiment seront là pour vous. Ils comprendront si vous devez annuler des plans pour vous reposer. Personnellement, j’ai deux meilleurs amis qui vivent aussi des douleurs chroniques et des maladies auto-immunes. Ils acceptent mes limites physiques. Je peux téléphoner à ma mère qui m’écoute parler de tout et de rien. J’habite avec mon fiancé exceptionnel qui me comprend et qui m’appuie quotidiennement. Je suis membre d’un groupe Facebook de jeunes adultes avec douleurs chroniques qui partagent leurs défis liés à leurs symptômes et leurs succès. 


Pour découvrir qui devrait faire partie de votre cercle d’appui, posez-vous  les questions suivantes : Quels sont les gens qui me remontent le moral? Quels sont les gens qui ne me culpabilisent pas pour mes limites? Quels sont les gens qui ne me jugent pas? Regroupez ces perles de votre entourage et insérez-les dans votre trousse de premiers soins. 


Item no. 4 : La franchise (Conscientiser ses collègues)


Je vous encourage à partager votre condition médicale avec vos collègues sans crainte et sans peur. Dans mon cas, les réactions de mes collègues de travail étaient majoritairement positives et agréables. J’ai envoyé une note médicale afin d’obtenir une chaise ergonomique supportant mon cou. Des accommodements sont là pour alléger nos douleurs. Parlez-en à votre médecin et informez votre employeur.


J’utilise la théorie des cuillères pour expliquer ma condition à mes collègues. Le nombre de cuillères représente mon niveau d’énergie. (Voir le schéma de Dysautonomia International). Par exemple, si mes collègues veulent travailler avec moi après les heures de classe et que je n’ai plus de « cuillère » je les informe à l’égard de mes limites médicales. J’étais tellement à l’aise avec ma directrice que je lui ai dit qu’il se peut que je prenne des journées de maladie en raison de migraines insupportables. Elle m’a compris et elle m’a remerciée de l’avoir informé. Je n’avais pas à lui justifier mes absences, mais je me sentais assez forte pour lui en parler. 


En connaissant vos limites, plusieurs collègues vont admirer votre persévérance et vos efforts. L’enseignement c’est du travail d’équipe. En étant honnête avec vos collègues, vous pourrez bâtir une relation de confiance.  


Source de l'image : La théorie des cuillères


Item no. 5 : Un poste réaliste (Accepter des tâches raisonnables)


En début de carrière, on prend le poste qui est disponible. On ne peut pas être trop sélectif. J’ai commencé ma carrière à enseigner la 5e année. J’ai adoré mon expérience. Par contre, suite à mon congé d’invalidité, je cherchais un poste avec des tâches adaptées à ma nouvelle réalité. J’ai donc fait demande pour un poste en maternelle. Je pouvais travailler à temps plein en me réconfortant que je n’avais pas de correction à faire le soir. J’avais aussi l’appui de deux collègues exceptionnelles pour m’aider à distribuer les matériaux utilisés et à lever les chaises à la fin de la journée, ce qui a facilité mon retour au travail. J'œuvre maintenant en 7e et 8e année. Ce poste est idéal pour moi, car j’ai moins de matières à planifier à la maison. Je suis donc capable d'atteindre un meilleur équilibre entre ma vie professionnelle et ma vie personnelle.


Quant aux activités parascolaires, j’ai réalisé que pour respecter mes limites physiques, je ne pouvais plus m’engager à offrir mon temps après l’école comme je le faisais durant ma première année d’enseignement. Je ne pense plus pouvoir entraîner des équipes sportives dans l’avenir, puisque ma tête et mes muscles ont besoin de repos à la suite de ma journée de travail.


Si vous êtes dans une situation semblable, mais que vous désirez tout de même vous impliquer, optez plutôt pour une activité durant la journée scolaire, comme le conseil des élèves à l’heure du dîner ou l’aide aux devoirs durant la récréation. 


Souvenez-vous, vous n’avez pas à justifier votre douleur et vos limites. Ne prenez pas une charge trop lourde. Acceptez un poste à temps partiel s’il le faut. Vous connaissez votre corps mieux que n’importe qui d’autre.   


Item no. 6 : Les congés de maladie (Se reposer)


Ça ne vaut pas la peine de surpasser ses limites pour avoir un corps fatigué. Je l’ai fait trop souvent. J’adore ma carrière et c’est une passion que j’ai depuis mon enfance. Je suis choyée d’avoir un certain nombre de congés payés. J’apprends encore à accepter de les prendre de temps en temps.


Vous n’avez pas à vous culpabiliser lorsque vous prenez des jours de congé. Si vous souffrez de douleurs chroniques, il est important de prendre soin de vous et de mettre les tâches scolaires de côté lorsque votre corps vous l’indique.


Je dois parfois me convaincre de mettre les efforts requis pour me permettre de prendre une journée de congé. Car on sait tous que s’absenter en enseignement, ça demande énormément de préparation. Parfois, j’en parle à mon cercle d’appui et c’est eux qui m’encouragent à prendre une journée de repos.


Item no. 7 : Une routine efficace (Maximiser son énergie)


Afin de garder un équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle, il est important d'établir une routine. C’est en physiothérapie que j’ai appris à me créer une routine raisonnable. Au début de ma réhabilitation, suite à mes commotions cérébrales, ma routine était simple : faire mon déjeuner, me brosser les cheveux, m’habiller, aller à la piscine, etc. 


Aujourd’hui, je maximise mon temps la fin de semaine pour prendre soin de moi et préparer ma semaine scolaire à venir. Je me repose le vendredi soir pour me remettre de ma semaine de travail. Je me lève tôt plutôt que de rester au lit. Je m’entraîne en matinée lorsque j’ai des « cuillères ». Pendant ce temps, mon conjoint prépare le déjeuner afin de m’économiser du temps. Ce sont des choses qui fonctionnent pour moi. 


Je consacre le samedi à la planification, la recherche de ressources pour mes leçons et à la correction au besoin. Je note aussi mes repas de la semaine sur un grand calendrier dans ma cuisine. Le dimanche, je n’ai aucune pression puisque ma semaine est prête. Je passe du temps avec mon conjoint, je prépare la bouffe dans la mijoteuse pour mes dîners de la semaine et je me repose. 


Votre routine, tout comme les tâches de votre emploi, doit être réaliste. Alors celle-ci varie grandement d’une personne à l’autre. Il ne faut surtout pas comparer votre routine à celle de vos amis et de vos collègues. Une routine à la fois réaliste et stable devient motivante et facile à respecter. 


Item no. 8 : Un coffre de survie (Apaiser sa douleur au travail)


Une amie qui a des douleurs chroniques m’a recommandé de me préparer un coffre de survie pour gérer ma douleur lorsque je ne suis pas à la maison. La mienne m’est utile au travail (j’apporte plusieurs de ces éléments avec moi) ou même en voyage.


Ce coffre peut contenir :

  • des médicaments
  • de l’huile de menthe poivrée (pour les maux de tête)
  • un coussin chauffant pour le cou et le dos
  • un paquet de glace
  • une crème anti-inflammatoire
  • un oreiller cervical
  • une variété de thés
  • de la musique reposante
  • une application de méditation
  • un livre de mandala


En cas de douleurs soudaines, ces items vous aideront à diminuer votre anxiété et apaiser un peu votre douleur, le temps de pouvoir retourner à la maison.


Item no. 9 : Les cache-oreilles (Ignorer les paroles blessantes)


Comme certaines personnes ne croient pas aux douleurs invisibles, elles n'hésitent pas à vous faire part de leur scepticisme. Pourquoi es-tu encore en congé? Attends que tu aies mon âge, là tu vas avoir de la vraie douleur. Tu ne vas pas te trouver quelqu’un qui pourra supporter tes douleurs. La journée vient de commencer et t’es déjà fatiguée? T'es encore malade?


Au début, ce type de traitement et de paroles me hantait. Je suis une personne hypersensible. J’ai dû m’entraîner à ignorer les jugements des autres. Les accidents qui m’ont blessé la tête et le corps ont changé ma vie. Pendant longtemps, ça m'a déprimé. 


Cependant, ces douleurs m’ont changé de façon positive. J’aime les gens de mon entourage. J’ai une énorme joie de vivre. J’adore ma carrière. J'ai une paix intérieure avec mes douleurs. Je trouve de nouveaux passe-temps. Je regagne mes forces. Je me sens choyée de pouvoir travailler à temps plein tandis que d’autres personnes doivent quitter leur emploi en raison d’invalidité médicale. Je continue à accomplir mes rêves et mes exploits. 


Trois ans passés, j’avais de la difficulté à sortir du lit et j’utilisais de la vaisselle en papier, car je n’avais pas la force requise pour faire laver ma vaisselle. Je suis encore plus puissante maintenant. J’ai guéri et j’ai appris à vivre avec des douleurs chroniques. J’ai cessé de me plaindre et j’ai décidé de conscientiser mon entourage au sujet de ma réalité. Soyez fiers d’où vous êtes aujourd’hui. Même si votre journée a été difficile, vous l’avez surmontée. Je continue à pratiquer mon métier, en respectant mes limites, en gardant ma passion et en aimant tous mes élèves.


J’espère que vous avez aimé faire ma connaissance en pleine transparence.


Mme Sophie


Sophie Parent aime explorer les différents niveaux d'enseignement à l’élémentaire depuis son entrée dans la profession enseignante en 2016. Présentement, elle enseigne la 7e et la 8e année. Elle est fière de ses racines francophones du nord de l’Ontario (Canada). Ayant une approche comique et chaleureuse avec ses élèves, elle cherche à instaurer un climat enthousiaste et bienveillant dans sa salle de classe. Ses passe-temps incluent jouer au squash, rédiger des blagues plates, jouer à des jeux de société et écouter des films de Disney en flattant son chien-saucisse, Slinky.


3 commentaires

  1. Wow! Merci pour ce partage! Il va faire du bien à bien des enseignants je crois!

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  2. Merci, juste un grand merci...😊

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    1. Bonjour, je suis enseignante en France et "victime" également de douleurs chroniques. Je trouve votre post, très réaliste. Perso, il n'y a que le point 7 qui me pose encore problème. Trop de choses à faire malgré mon temps partiel (75%).
      Pour le point 8, je rajouterai sur la liste du matériel : avec les problèmes de dos, je me suis achetée un bon tabouret à roulettes pour pouvoir circuler entre les tables, un gros ballon pour l'assise que je laisse au tableau, et un casque à réduction de bruit pour la pause méridienne !
      Merci pour cet article, j'espère que cela pourra faire réfléchir aussi les autres collègues 😉

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